Un coin de Bourgogne à part : une géographie de songes

À qui observe la carte du sud Mâconnais, le Val Lamartinien surgit comme une parenthèse. Le terroir s’étend, de façon non administrative mais paysagère, autour des villages de Milly-Lamartine, Berzé-la-Ville, Bussières, Davayé, Pierreclos et Saint-Vérand. Son nom, il le doit à l’enfance du poète Alphonse de Lamartine, au château familial de Milly, mais il recèle d’autres muses.

Ici, les plis doux du paysage semblent enlacer les vignes : petits vallons, coteaux orientés tous azimuts, crêtes calcaires dressant leurs arêtes blanches. Cette topographie particulière joue un rôle d’isolant climatique, protégeant certaines parcelles des bourrasques et offrant de subtils écarts thermiques. Les différences de maturité au sein d’une même appellation sont parfois frappantes : la vendange à Bussières peut se faire jusqu’à 10 jours après celle de Milly-Lamartine selon les millésimes (source : Vignes et Vins de Bourgogne, BIVB).

  • Altitudes variées : Les parcelles oscillent entre 220 et 400 mètres. Cela peut sembler peu, mais pour la vigne, ce sont ici de grands écarts.
  • Expositions multiples : Sud, sud-est, nord, ouest… les orientations changent en quelques centaines de mètres, favorisant la diversité, même au sein des crus voisins.

Sous la vigne, mille strates de roche : une géologie complexe et rare

Si le Mâconnais tout entier repose sur d’anciennes formations marines, le Val Lamartinien concentre une richesse insoupçonnée de sols. À chaque tournant, il offre une palette que même les meilleurs manuels peinent à schématiser. La vigne, ici, plonge ses racines entre lames calcaires, marnes, éboulis, argiles, même parfois du grès.

  • Prédominance des calcaires du Bajocien et Bathonien, très présents entre Milly et Berzé, donnant des vins droits et ciselés, portés par une fraîcheur minérale distincte.
  • Marnes beiges et bleutées, plus au nord autour de Pierreclos, qui signent des blancs plus souples, parfois plus larges, très floraux.
  • Affleurements de grès ferrugineux, rares, qui marquent certains rouges (notamment à Bussières) de tanins soyeux et d’une note épicée, un vrai clin d’œil au Beaujolais voisin (source : Carte géologique du sud Mâconnais, BRGM).

À l’échelle d’un seul vignoble, on peut retrouver trois, voire quatre types de sols. Le mythe du « même terroir partout » vole en éclats dès qu’on échange avec les vignerons : aucun ne cultive tout à fait la même mosaïque que son voisin. C’est ce qui forge ce caractère "inclassable" du Val Lamartinien.

Un microclimat hors-norme… témoin des contrastes bourguignons

L’orientation du Val Lamartinien, encadré par la Roche de Solutré et la Roche de Vergisson, crée des effets de microclimats uniques dans la région. Les historiques parlent d’un bassin "à l’abri des excès", mais la réalité est plus nuancée.

  • Précipitations modérées : Davayé, par exemple, recense environ 850 mm/an, contre près de 1000 mm/an dans le Clunisois, à quelques kilomètres (*)
  • Amplitude thermique plus faible au cœur des vallons, favorisant une maturation douce et régulière.
  • Vent d’est sec et salubre: Certains printemps, il repousse le gel et limite la pression des maladies, un allié rare dans le contexte bourguignon (source : Météo France, station Pierreclos-Davayé).

Cette stabilité apporte aux raisins une belle constance de maturité, si précieuse pour produire des blancs énergiques ou des rouges subtils. Mais elle rend aussi le vigneron attentif : les stress hydriques d’été peuvent surprendre, les nuits fraîches préservent l’acidité, la patience est de mise pour récolter le meilleur moment.

Cépages et singularités aromatiques : le blanc roi mais pas que

Au pays du Val Lamartinien, le Chardonnay règne en maître, donnant naissance à des Mâcon-Villages, Saint-Véran ou Pouilly-Fuissé lumineux, tendus, pleins de vivacité. Mais il serait dommage d’oublier le rôle du Gamay dans les rouges locaux, qui n’ont rien à envier à leurs cousins du nord du Beaujolais…

Chardonnay : diversité assumée

  • Sur calcaire: les vins dévoilent des notes de fleurs blanches, d’agrumes, de silex, et cette pointe saline si recherchée.
  • Sur marnes: on trouve davantage de miel, de fruits jaunes, d’épices douces, des blancs à la générosité caressante, capables de bien vieillir.

D’une année sur l’autre, certains cuvées frisent les 14 % d’alcool potentiel sans jamais perdre leur colonne vertébrale acide (source : Vins et Terroirs de Bourgogne, éditions Féret, 2021).

Les rouges du Val : le secret le mieux gardé du Mâconnais ?

  • Gamay sur grès ou cailloutis: des rouges vibrants, fruités, parfois poivrés, étonnamment frais.
  • Pinot noir – très rare mais en hausse - offre ici un registre tout en finesse, bien moins solaire que plus au sud dans le Mâconnais, avec des touches subtiles de griotte et de sous-bois.

Un détail : les rouges de Pierreclos, autrefois servis surtout localement, voient désormais leurs bouteilles s’envoler jusqu’à Paris ou même Tokyo (source : LRVF, dossier Val Lamartinien, 2023). La reconnaissance des amateurs ne trompe pas !

Les mains de femmes et d’hommes : une nouvelle génération de vignerons en mouvement

Il y a ici une densité humaine rare : beaucoup de domaines familiaux, mais aussi des vignerons néo-arrivants venus exprimer leur vision du terroir. Depuis les années 1990, le Val Lamartinien s’est affirmé comme l’un des bastions du bio et de la biodynamie en Bourgogne.

  • Davayé et Milly-Lamartine : près de 65% des surfaces sont cultivées en bio ou en conversion, plus du double de la moyenne bourguignonne (Source : Agence Bio, 2022). Certaines parcelles sont menées en traction animale ou à la main, comme aux Vignes du Maynes à Cruzille.
  • Ouverture sur l’œnotourisme : beaucoup de caves ont modernisé leur accueil, offrant dégustations, balades guidées, ou ateliers accords mets-vins. Une carte idéale pour explorer la région en famille ou entre amis (cf. Association Vignerons du Val Lamartinien).
  • Initiatives solidaires et collectives : vendanges partagées, mise en commun de matériel, formidables moments d’entraide… et d’anecdotes ! Parfois, les caves du Val Lamartinien accueillent même des séjours œnologiques pour les écoles maternelles (Photo-reportage « Le Vin au berceau », Voix du Sud Mâconnais).

La jeunesse – ou le retour des quadras et quinquas en reconversion – insuffle de nouveaux styles : macérations, maîtrise du bois, amphores… Sans dénaturer les traditions, les Vignerons jouent avec leur terroir, à la recherche du meilleur équilibre entre fruit, fraîcheur et texture.

Le Val Lamartinien : laboratoire, écrin et trait d’union

Comment expliquer ce rayonnement du Val Lamartinien ? C’est sans doute le fruit de trois éléments fondamentaux :

  • Diversité géologique et climatique, à l’origine d’une gamme de vins expressive, parfois même sur le fil, entre nervosité et ampleur.
  • Patrimoine humain : l’explosion des démarches bio, des initiatives collectives, et la coexistence de jeunes vignerons, domaines centenaires et néo-ruraux.
  • Ouverture sur le monde : les vins du Val Lamartinien s’exportent bien, séduisent autant les amateurs de grands classiques que les explorateurs de nouveautés. Une dynamique qui fait de lui un « relais » entre Bourgogne du nord et du sud, entre tradition et expérience.

Pas de doute : en une génération, le Val Lamartinien a su faire de ses particularités des atouts à cultiver. Que l’on soit amateur de découvertes confidentielles, passionné de géologie, fou de blancs élancés ou curieux de rouges fruités, la balade ici promet toujours surprise, diversité… et poésie dans le verre.

À chaque nouvelle visite, il y a un pan du terroir, une arête rocheuse, une anecdote ou un parfum à redécouvrir. Et c’est sans doute là, entre deux cuves et trois cailloux, que réside l’âme indocile du Val Lamartinien.

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