Un terroir sous influence vivante : comprendre la biodiversité dans le vignoble

Dans le pays mâconnais, la vigne est omniprésente, mais elle n’a jamais complètement effacé les forêts, haies, murets, mares et prairies maigres qui l’entourent. Cette mosaïque, issue de siècles d’agriculture paysanne, façonne le vin bien au-delà de la composition du sol ou de l’exposition des coteaux. Quand on parle de biodiversité, on pense :

  • La faune : oiseaux, chauves-souris, insectes pollinisateurs, vers de terre, micro-mammifères…
  • La flore spontanée : herbes folles, fleurs, mousses, arbres isolés, haies sauvages
  • La vie invisible : levures naturelles, bactéries du sol, micro-organismes alliés de la vigne

C’est l’interaction de tous ces acteurs, visibles ou secrets, qui donne au terroir sa singularité. Selon l’INRAE, un écosystème viticole riche abrite en moyenne :

  • plus de 80 espèces de plantes en lisière de vigne,
  • jusqu’à 150 espèces d’invertébrés dans une parcelle non traitée,
  • et près de 40 % d’oiseaux “utiles” en plus dans les secteurs avec haies et bosquets (source : INRAE, Observatoire Agricole de la Biodiversité).

Un rempart contre les maladies : comment la diversité protège la vigne

L’hiver 2023 a frappé le Mâconnais d’un épisode mildiou historique, dont on a beaucoup parlé chez les vignerons. Or, là où la biodiversité était la plus vivace, les attaques ont été globalement moins intenses. Pourquoi ?

  • Prédateurs naturels : coccinelles, syrphes, et pipistrelles font la chasse aux ravageurs comme les pucerons ou la cicadelle verte. Cela limite mécaniquement l’usage d’insecticides. Selon le Réseau Dephy, certaines parcelles près de Clessé ou Verzé ont pu réduire ces traitements de plus de 60 % grâce à la diversité alentour.
  • Régulation des pathogènes : plus la vie est dense dans le sol, plus la vigne trouve d’alliés invisibles (champignons mycorhiziens, bactéries bénéfiques). Des sols riches hébergent une microfaune qui limite naturellement les maladies du bois (esca, eutypiose) : des recherches à l’INRA Dijon montrent une prévalence divisée par deux quand le sol n’est pas désherbé chimiquement.

La biodiversité n’est donc pas qu’un “plus” ; c’est un fichier d’assistants vitaux pour la santé du vignoble.

L’influence sur le goût et l’identité des vins

On parle souvent de l’effet terroir, voire du “goût de la pierre” en Mâconnais. Mais que serait ce goût sans la part invisible des herbes, fleurs, levures indigènes ?

  • Levures de la flore locale : la biodiversité favorise la présence de souches levuriennes uniques. Selon des analyses de BIOsystèmes Dijon, certaines cuves de Viré-Clessé hébergent jusqu’à 60 espèces de levures sauvages différentes, contre seulement 5 à 10 dans les chais conduits en standard industriel.
  • Expression aromatique plus riche : les sols vivants, couverts d’enherbement, font remonter des nuances aromatiques (notes florales, fruitées, minérales) que la simplicité d’un écosystème “aseptisé” ne permet plus d’atteindre, comme en témoignent de nombreux concours à Mâcon et Saint-Véran.

Certains vignerons, comme ceux du Domaine des Trois Côtes à Solutré, n’hésitent plus à laisser cohabiter ronces, orties, carottes sauvages - quitte à perdre un peu de rendement mais à gagner en complexité. Ils évoquent souvent un “vin moins uniforme d’année en année, mais plus vivant et fidèle à sa parcelle”.

Bouclier face au changement climatique : la biodiversité, alliée du futur

Le Mâconnais, comme le reste de la Bourgogne, fait face à :

  • une hausse des températures de +1,6 °C sur les cinquante dernières années (source : Météo France, 2021),
  • des épisodes de grêle et de canicule de plus en plus fréquents,
  • un régime hydrique bouleversé, alternant sécheresses et orages violents.

Dans ce contexte, la biodiversité apporte des solutions concrètes :

  1. Sols mieux protégés : un sol couvert par des plantes limite l’érosion lors des orages. Les campagnes “Zéro sol nu” à Pierreclos ou La Roche-Vineuse ont permis de réduire, en dix ans, les ruissellements de 30 à 60 %.
  2. Rétention d’eau accrue : les systèmes racinaires variés (graminées, légumineuses, fleurs) agissent comme des éponges, offrant à la vigne une réserve lors des sécheresses.
  3. Climats en mosaïque : haies, bosquets et mares créent des microclimats locaux, limitant les extrêmes de température et favorisant la pollinisation, parfois même la venue d’insectes “exotiques” adaptés à la nouvelle donne climatique.

Pratiques et initiatives concrètes dans le Mâconnais

Depuis dix ans, le paysage du Mâconnais se transforme sous l’impulsion d’initiatives locales, récompensées parfois au-delà de la région.

  • Réintroduction de haies et murets : L’opération “1 km de haie par an” lancée par le Syndicat local, avec l’aide de la Fédération des chasseurs de Saône-et-Loire, a permis la plantation de 12 kilomètres de haies champêtres entre 2015 et 2023.
  • Mares et zones humides : Plusieurs villages, comme Prissé, ont creusé des mares pour attirer batraciens et libellules : en 4 ans, le nombre d’espèces recensées aux abords des vignes a doublé.
  • Viticulture de conservation : Le Domaine des Chênes Rouges travaille avec des couverts végétaux multi-espèces ; les comptages d’abeilles sauvages et de papillons y ont bondi de 300 % depuis 2017 (observation par la LPO Bourgogne).

Ces actions ne sont pas qu’esthétiques ou "bio pour le bio". Elles redonnent au paysage ses mécanismes d’auto-régulation et offrent aux vignerons de véritables leviers d’adaptation.

Au-delà du vignoble : enjeux sociaux, culturels et touristiques

Quand on protège la biodiversité dans le Mâconnais, on préserve bien plus qu’une poignée d’abeilles ou de coquelicots.

  • Savoir-faire séculaires : restaurer des murs en pierre sèche, planter des arbres têtards, laisse entrer dans la boucle des artisans, des écoles, des associations locales.
  • Attractivité touristique : 47 % des visiteurs des caves ouvertes viennent aussi “pour la beauté du paysage” (office de tourisme Mâconnais — Sud Bourgogne). Un vignoble monotone n’attire ni l’œil ni la curiosité.
  • Fierté rurale et vivre ensemble : La biodiversité devient un facteur d’identité et de dialogue entre habitants, agriculteurs, naturalistes et amateurs de vin.

La biodiversité comme promesse de vins d’émotion et de pérennité

La biodiversité n’est ni une mode ni une option pour les terroirs mâconnais. C’est la garantie, discrète mais puissante, que la vigne continuera à témoigner de la personnalité de chaque parcelle, de la main du vigneron, et de la rencontre entre l’histoire et le climat du siècle. Les domaines qui savent s’en inspirer nous offrent, année après année, des vins sincères et profonds, dont le goût n’est jamais figé, toujours surprenant, vibrant des mille vies qui l’ont façonné.

Face aux défis globaux, protéger la biodiversité, c’est garder ouverte la belle promesse du Mâconnais : la richesse d’un paysage où chaque vin raconte non seulement une vigne, mais un monde vivant autour d’elle.

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