Des sols nés de la mer et du temps

Bien avant la main de l’homme, le Mâconnais s’est façonné sous la mer, il y a environ 200 millions d’années. Les formations calcaires du Jurassique, tapissées de fossiles marins (huîtres, ammonites...), rythment encore aujourd’hui le paysage, tout comme les argiles, les marnes et les sables déposés lors du retrait de l’eau. L’exposition et la composition varient selon les collines, donnant cette infinie diversité de terroirs parmi les 5 900 hectares de vignes recensés en 2022 (source : InterBeaujolais/Vin Bourgogne).

  • Les roches calcaires (notamment sur la côte de Fuissé, Solutré ou Vergisson) offrent finesse et tension aux vins blancs.
  • Les argiles et marnes abritent plus souvent des gamays, juteux et fruités.
  • L’altitude façonne microclimats et exposition : ici, un éperon rocheux protège du vent du nord ; là, une cuvette retient la chaleur du soir.

Cette carte géologique, sculptée depuis la nuit des temps, conditionne tout ce qu’il sera possible de cultiver… et la façon de le faire.

L’Antiquité : quand Rome et la vigne s’installent

Les premières vignes apprivoisées dans le Mâconnais auraient, d’après les archéologues, plus de deux mille ans. Mâcon, anciennement Matisco, était un pôle stratégique de la Gaule romaine. Les Romains y ont introduit des techniques avancées de viticulture et surtout la valorisation du vin dans la civilisation locale, stimulée par le commerce fluvial sur la Saône (source : Musée d’Art et d’Archéologie de Mâcon).

  • Défrichement de parcelles sur les coteaux bien exposés
  • Organisation en « villae » viticoles, grands domaines ruraux, dont certains noms de localités gardent la mémoire (Charnay, Lugny…)
  • Développement d’outils adaptés, comme les pressoirs à levier.

La romanisation structure le vignoble : c’est le début de sa mosaïque humaine et agricole. Aujourd’hui encore, certaines parcelles du Sud Mâconnais suivent les murs centenaires édifiés sur des fondations gallo-romaines.

Clochers, abbayes et moines : les bâtisseurs du vignoble

Aucun voyage dans le Mâconnais ne serait complet sans un passage par une des innombrables églises romanes ou un détour par Cluny et ses vestiges monastiques. Dès le haut Moyen Âge, un immense mouvement spirituel prend racine ici : l’abbaye de Cluny (fondée en 910) et, plus tard, celle de Tournus jouent un rôle fondamental dans la formation des terroirs.

  • Cartographie parcellaire : Les moines clunisiens développent une gestion sophistiquée des terres, séparant et nommant minutieusement les « climats » selon exposition, sol et microclimat – une tradition encore vivante.
  • Innovations agricoles : Ils améliorent la sélection des plants, la taille de la vigne, la conservation en cave, fixant nombre de savoirs transmis aux générations suivantes.
  • Patrimoine architectural : En témoignent les cabottes, anciens abris de vignerons bâtis en pierres sèches, dont certains datent de près de 900 ans.

Grâce à leur puissance, les abbayes attirent de vastes legs fonciers, suscitant la délimitation progressive de terroirs distincts. Ce sont souvent ces origines monastiques qui expliquent la concentration d’appellations prestigieuses autour de Cluny ou Tournus.

Chevaliers, seigneurs et parenthèses royales : le Mâconnais sous l’Ancien Régime

À la sortie du Moyen Âge, la Bourgogne entre sous le joug des Ducs puis des rois de France. Les seigneurs locaux prennent le relais dans la maîtrise des terroirs, favorisant l’éclosion d’une mosaïque d’exploitations, du modeste lopin paysan aux grandes propriétés bourgeoises.

  • Les cadastres se précisent : Dès le XVIe siècle, les archives présentent une impressionnante cartographie des « climats » et « clos » (source : Dossier historique INAO).
  • Essor de l’export : Les vins du Mâconnais s’embarquent dès le XVIIe siècle vers Lyon ou Genève, stimulant l’investissement dans la qualité et la sélection parcellaire.
  • Les traditions paysannes : Les familles de vignerons transmettent de père en fille, de mère en fils, les secrets d’assemblage ou de taille, produisant parfois des cuvées confidentielles.

Anecdote : certains murs de clos en pierre sèche, aujourd’hui encore visibles autour de Pouilly, furent bâtis sur ordre de notables désireux de défier la rigueur fiscale de l’époque ; chaque parcelle enserrée devenait, sur le papier, un micro-domaine légalement distinct, illustrant la finesse de la mosaïque foncière (source : Société d’histoire du Mâconnais).

Crises, révolutions et retour aux racines : du XIXe au XXIe siècle

Le XIXe siècle secoue la région : l’arrivée du phylloxéra (1875) dévaste tout. D’après la Revue des Vins de France, en une génération, 80 % du vignoble mâconnais disparaît. Il faudra de longues années et la greffe sur porte-greffe américain pour ranimer la vigne. Cette période voit aussi l’essor des caves coopératives (première fondée à Lugny en 1926) et la naissance de l’AOC Mâcon en 1937.

  • La replantation post-phylloxérique remet à plat la mosaïque, certains cépages (chardonnay, gamay) étant privilégiés au détriment d’autres alors plus rustiques (melon, pinot gris, etc.).
  • Les crises de surproduction, surtout dans les années 1970-80, conduisent à restructurer le vignoble : arrachages, valorisation des meilleurs terroirs, création de nouvelles appellations (Saint-Véran, 1971 ; Viré-Clessé, 1999).
  • La montée du bio et du « moins d’intrants » depuis 2000 réveille certaines parcelles oubliées et encourage la vinification parcellaire pour mieux exprimer chaque subtilité du terroir.

Quelques chiffres : aujourd’hui, on recense plus de 9 000 exploitations viticoles dans le Mâconnais, du micro-vigneron bio à la cave coopérative exportatrice, preuve du maintien d’une diversité unique (source : Chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire).

Les vignobles, témoins des passages et des métissages

L’histoire du Mâconnais, c’est aussi un carrefour : ports fluviaux sur la Saône, routes du sel, pèlerinages vers Saint-Jacques-de-Compostelle… À chaque époque, travailleurs et marchands venus de Suisse, d’Italie, d’Espagne, d’Alsace ou du Beaujolais voisin ont enrichi la mosaïque des terroirs.

  • Au XIXe siècle, l’apport de la main d’œuvre saisonnière italienne influence la taille et certaines traditions culturales (source : Le Journal de Saône-et-Loire).
  • Des cépages comme le gamay, venant du Beaujolais, s’imposent dans les zones granitiques à l’ouest, tandis que le chardonnay trouve son royaume sur les plateaux calcaires.
  • Les pratiques de plantation, de vinification voire de construction des murs varient ainsi d’un village à l’autre, mariant influences locales et apports extérieurs.

C’est cet étonnant brassage, jamais figé, qui irrigue la vitalité du vignoble mâconnais, de Fuissé à Igé, de Vergisson à Milly-Lamartine.

Mosaïque actuelle : héritages, transmission et ouverture

La diversité du Mâconnais aujourd’hui est le fruit de tous ces héritages entremêlés. On y trouve :

  • Près de 30 dénominations géographiques complémentaires à l’AOC Mâcon (ex : Mâcon-Charnay-lès-Mâcon, Mâcon-Burgy…), chacune rythmée par son histoire, son sol, ses traditions locales (INAO).
  • Des initiatives de classement au patrimoine mondial de l’UNESCO (dossier en cours pour les paysages du sud de la Bourgogne), soulignant la valeur exceptionnelle de cette mosaïque.
  • Une attention croissante portée au respect du patrimoine paysager, de la biodiversité et des savoir-faire : conservation des cabottes, remise à l’honneur des haies et murs en pierre, relance de cépages oubliés (tels que le melon ou le pinot gris selon le Conservatoire régional des anciennes variétés de vignes).

À chaque gorgée, c’est donc une aventure plurielle, portée par des siècles de sédimentations successives, que l’on goûte dans les verres du Mâconnais.

Les terroirs du Mâconnais : une invitation à la curiosité

Le Mâconnais, pris dans le miroir du temps, a tout d’un paysage en perpétuelle métamorphose : les lignes de vignes bougent, mais l’esprit du lieu, mêlé de tradition, d’innovation et de rencontres, demeure. Les hommes et les femmes de la région sont les gardiens d’un puzzle nuancé, hérité et toujours réinventé. Que vous soyez curieux de nature ou amoureux du vin, oser la découverte du Mâconnais, c’est marcher sur les pas des Romains, croiser les moines, rencontrer un vigneron qui partage une bouteille dans sa cabotte – c’est, au fond, se relier à toutes les histoires qui murmurent entre les ceps.

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